Depuis quelques temps, les additifs sont sujets à questionnements. A quoi servent-ils, sont-ils dangereux, masquent-ils de quelconques malfaçons, sont-ils utilisés avec raison ?
Qu’est-ce qu’un additif ?
C’est LA première question. De quoi parle-t-on ? Un additif est un produit ajouté à une charcuterie, hors assaisonnement (que nous allons plutôt appeler « épice »). Cet additif a un but technologique, c’est-à-dire qu’il va permettre à la fabrication d’avoir des caractéristiques différentes ou améliorées. Par exemple, c’est le cas du citron dans une salade de fruits. L’ajout de jus de citron (en fait d’acide citrique), va limiter le noircissement des fruits. Il existe une exception, à savoir les arômes. Bien que classés comme additifs, leur rôle est essentiellement d’apporter du goût. Leur intérêt réside dans le fait d’une plus grande stabilité dans le temps et permet également d’intégrer un goût plus fort que ne peut le permettre l’épice, le fruit, ou le condiment d’origine.
Additif = Far West ?
Les additifs sont réglementés. Chacun appartient à une catégorie, comme les acidifiants, les conservateurs ou les antioxydants par exemple. Ils sont répertoriés et leur dangerosité évaluée notamment par l’ANSES. On détermine si nécessaire des DJA (doses journalières admissibles), qui sont des doses en dessous desquelles le consommateur n’a aucun risque. De ces DJA vont découler des dosages maximums autorisés dans les fabrications qui devront être respectées par les professionnels.
Chaque additif étudié se voit attribuer un code européen (EXXX) qui précise ses effets et son dosage (si nécessaire). Lorsque l’additif n’est pas codifié, cela signifie qu’il appartient à une catégorie pour laquelle il n’apparait pas nécessaire de faire une étude poussée (par exemple la catégorie « arômes naturels »). Il est à noter que de facto un additif avec un code européen est donc plus clairement défini qu’un additif qui n’en a pas.
Enfin, à chaque fabrication correspond une rubrique du Code des Usages. Ce dernier est le document de référence des fabricants, et régit l’utilisation de tous les ingrédients et additifs selon le produit fabriqué. C’est une liste positive : il est interdit de mettre des additifs non mentionnés.
Même si des listes d’additifs « dangereux » circulent sur internet depuis des décennies, dont certaines soi-disant émanent d’un hôpital réputé, il est nécessaire de prendre du recul sur la véracité de leur contenu : la seule base fiable à ce stade pour les professionnels est le Code des Usages.
Mais pourquoi mettre des additifs ?
Ils sont ajoutés pour compléter, améliorer ou changer les propriétés des produits finis. Par exemple, lorsque vous préparez une gelée de pommes, vous allez ajouter de la pectine (dans ce cas considérée comme un additif !) pour éviter qu’elle soit trop liquide. Lorsque vous faites une gelée pommes/coing, il n’est pas nécessaire d’ajouter de la pectine car celle apportée par le coing suffira… Mais ce n’est plus une gelée de pommes !
En charcuterie, les additifs vont servir en premier lieu à la conservation : soit directement, comme les nitrates/nitrites (nous y reviendrons), soit indirectement comme les acidifiants en modifiant le mélange pour éviter des développements bactériens. Ensuite, ils peuvent servir à modifier ou améliorer la texture comme les gélifiants ou l’esthétique (colorants par exemple). Il est à noter qu’il existe de nombreux additifs qui ont plusieurs fonctions.
Il est nécessaire de ne pas oublier que nous sommes tous impactés par l’aspect des produits, et de l’image qui y est associée : la couleur par exemple nous renseigne intuitivement sur l’état de la denrée. Lors d’une réduction ou d’une suppression de nitrites, la couleur va « passer » plus vite et se rapprocher d’un gris/brun. Or cette couleur n’est pas un signe de fraicheur et n’est pas recherchée par le consommateur.
Simplement il faut imaginer qu’un kassler sans additif n’est ni plus ni moins qu’un rôti de porc fait à la maison avec toutes ses qualités, mais aussi tous ses défauts dont des difficultés de conservation et une couleur grise peu avenante.
Qu’en est-il Au Fumé Vosgien ?
Au Fumé Vosgien, nous avons une vision ouverte des choses. Ainsi, nous ajoutons à notre charcuterie ce que nous pensons être utile et nécessaire. De même, nous choisissons des additifs connus et efficaces, et même si des « E » sont parfois ajoutés à notre liste d’ingrédients.
Bien sûr, nous nous conformons à minima au Codes des Usages, à la rubrique « supérieure ». C’est dans cette rubrique que le CDU est le plus exigeant, et la liste des additifs possibles la plus réduite.
Nous considérons qu’une charcuterie/salaison doit être bien faite : ce qu’il faut d’eau, ce qu’il faut d’épices, et ce qu’il faut de solutions techniques pour garantir au consommateur un produit beau, bon, sain et qui le reste un maximum de temps. Il est nécessaire « d’aider » le produit à résister aux contraintes de la consommation moderne (longue DLC, frigos parfois trop chauds, ruptures de la chaine du froid…), couplée à la demande de réduction du sel (conservateur naturel). Il faudrait plutôt envisager qu’une fabrication sans additif déclaré soit pour le moins étonnante : l’additif n’est pas un ennemi mais un allié, il est en revanche nécessaire de l’utiliser avec raison.
De même que chaque cuisinier va utiliser du fond de bœuf, du cube or, de la maïzena ou tout autre produit, le charcutier va employer des additifs.
Nous utilisons habituellement les additifs suivants :
Dextrose/Lactose = comme supports ou comme « carburant » pour ferments
Acidifiants :
E331 (citrate de sodium) ; c’est le composé stable de l’acide citrique (E330) qui est issu du jus de citron, il sert à acidifier la préparation, avec un effet bactériostatique
Conservateurs :
E250 (nitrite de sodium), E252 (nitrate de sodium) ; voir chapitre suivant
E262 (acétate de sodium) ; acidifiant avec une grosse action anti bactérienne
E326 (lactate de potassium) ; précurseur d’acide lactique, il a une grande efficacité bactériostatique. Peut apporter des goûts légèrement acidulés en fin de vie
Antioxydants (ou antioxygène) :
E301 (ascorbate de sodium) ; c’est le composé stable de l’acide ascorbique (E300), il permet d’avoir une couleur qui grisonne moins
E316 (Erythorbate de sodium) ; même famille et même utilisation que l’ascorbate de sodium
Arômes naturels :
Il s’agit d’extraits d’épices. Ils servent à renforcer la puissance d’un épice, le rendre plus stable dans le temps mais aussi le rendre miscible (c’est-à-dire qu’il se mélange parfaitement) à la préparation
Stabilisants :
E450/451/452 (polyphosphates) ; ils servent à « lier » l’eau et la viande. C’est également ce type de composé qui permet aux vinaigrettes du commerce de ne pas déphaser
Gélifiants :
E407 (Carraghénane) ; issue d’algues il sert à gélifier, épaissir
E415 (Gomme de xanthane) ; issue du sucre, elle sert également à épaissir
E508 (Chlorure de potassium) ; appelé sel diététique, il apporte un gout salé sans sel
Colorant :
E100 (Curcumine) ; issue du curcuma c’est un colorant jaune non allergène
E120 (Carmin de cochenille) ; issu du broyage de la cochenille c’est un colorant rouge-violet
Zoom sur des additifs « sulfureux » : nitrates/nitrites, dextrose
Sous le feu des projecteurs, nous pouvons trouver les nitrites/nitrates et les dextroses.
Qu’est-ce que le dextrose ? Il s’agit du plus petit sucre existant. Il n’a aucun pouvoir sucrant et pas d’effet néfaste sur la santé. Il sert principalement de support, c’est-à-dire qu’il porte un extrait d’arôme ou une autre molécule technique. Il est donc très fréquent dans les listes d’ingrédient des produits de charcuterie sans que cela ne soit choquant : assurez-vous simplement qu’il ne soit pas placé trop haut dans la liste. On peut également le trouver, en plus grande quantité, cette fois, dans les salaisons sèches ou semi sèches : il sert de carburant rapide aux ferments qui permettent l’évolution normale de ce type de fabrication. Le grand frère du dextrose est le lactose, lui aussi sucre non sucrant, mais une des plus grosses molécules de sucre. Il sert également de carburant, mais lent cette fois, pour les ferments. Constitutif du lait, il peut également être fortement présent dans les charcuteries contenant des produits laitiers.
Il faut savoir par ailleurs que la quantité de sucre (sucrants ou non) est règlementée, et qu’elle est comptabilisée dans les valeurs énergétiques de la case « glucides ».
Les nitrites, nitrates : autrefois connu sous le nom de salpêtre, le nitrate est utilisé depuis le moyen âge en adjonction du sel à des fins de conservation des produits. Le nitrate va se dégrader en nitrite, qui est la molécule active. « Bactériostatique à spectre large » d’une part, il est particulièrement efficace contre le botulisme (quasiment éradiqué en Europe grâce à lui), il se montre extrêmement efficace sur l’ensemble des bactéries que nous pouvons trouver dans les viandes, et contre le développement de bactéries pathogènes. C’est d’autre part grâce aux nitrites/nitrates que la formation d’une couleur rose stable est possible dans les charcuteries.
Il est important de se rappeler que la couleur rose salaison peut être obtenue par des moyens plus ou moins compliqués, mais avec des résultats plutôt moyens. En outre, une partie de ces moyens consistent en l’utilisation de végétaux riches en nitrates (par décoction ou utilisation directe), ou en l’exploitation du peu de nitrate présent dans la viande. Ces expédients ne suffisent pas à eux seuls à assurer la qualité microbiologique du produit, il est donc nécessaire de complémenter avec d’autres principes actifs bactériostatiques (qui empêchent la prolifération de bactéries).
Pointé du doigt pour être cancérogène (pouvant favoriser l’apparition d’un cancer, et en l’occurrence le cancer colorectal), il semble à ce stade que son rôle ne soit pas clairement établi et très complexe. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que c’est en partie grâce à lui que le taux d’infection alimentaire en France est extrêmement faible, et que son implication dans la sécurité alimentaire est notable. Des études sont en cours afin de déterminer précisément les seuils d’efficacité et de les corroborer avec un seuil de dangerosité. Dans l’immédiat, la profession et l’Etat ont décidé d’abaisser tous les seuils d’utilisation à des niveaux jamais atteints au nom du principe de précaution.
Que dire de ce dossier finalement ?
J’ai essayé de vous expliquer au mieux ce qu’était un additif et pourquoi nous nous en servions. Il faut garder en tête que sans ces ajouts les charcuteries et les salaisons ne seraient pas les mêmes. Couleur, odeur, goût, conservation, tout en serait changé. La profession, et nous y compris, travaille à toujours plus de sécurité, mais aussi à répondre à la demande et aux habitudes du client. L’artisan, l’industriel, tentent de répondre à vos demandes même si elles sont contradictoires… Avoir un jambon cuit d’un porc fermier (donc plus vieux et plus gros) sans gras, sans nitrite mais rose et peu de sel ? Le tout avec 21j de DLC ? C’est malheureusement impossible sans ajout… De plus les diminutions importantes de sel dans les fabrications (en moyenne une chipolata des années 2000 contenait 20-22g de sel au kg, aujourd’hui elle en contient environ 18g) complexifie énormément le maintien d’une sécurité alimentaire optimale.
Cet article sert avant tout à vous apporter des réponses, à vous permettre de lire les étiquettes en consommateurs avertis : ne pas tout rejeter en bloc, mais ne pas non plus tout accepter. Et ne pas oublier que la viande est un produit naturel : l’excès d’exigence amène la standardisation et la standardisation à l’industrie !
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